A l'herbe mauvaise
Ma vivace,
Toi que l’on dit folle et mauvaise, que l’on craint de voir poindre parmi les fleurs fragiles, toi que chacun veut sans soin extirper de son précieux jardin, malgré ta robustesse, tu es si peu de chose, mon herbe inutile, face à l’espèce protégée par la filandreuse vanité humaine.
Déracinée au nom d’une culture, même si la main te cueille, c’est pour mieux te détruire, puisque vert parasite, maquis de moisissure, hors des vases fétiches, loin des boutons chétifs, tu es si peu de chose, mon herbe inutile, moins prisée qu’une rose ou qu’un champ de maïs.
Sauvage souvent, rétive aux herbicides, toi que l’on dit chiendent et si envahissante, tu campes hostile entre les pierres des faubourgs désertés, où tu hantes acculée le pavage de l’incurie. Et tu cries aussi exil à l’angle de la stèle des oubliés. Tu es si peu de chose, mon herbe inutile, variété plus ternie que les façades closes de parpaings gris.
Toi que l’on dit goulue et coriace, que l’on sarcle avec hargne pour des plants plus gracieux, toi que l’on prétend évincer des semis trop rangés, bannir des plates-bandes d’apparat, toi qui devrais quitter les allées des parcs et céder, d’autre part, tes pousses et tes friches au bulbe du goudron, tu es bien autre chose qu’une herbe inutile qui, au lieu de périr, recouvre encore quelques sillons fertiles.
Tu as la senteur première de la terre et de la liberté. Et c’est couchée sur toi que je t’écris.
Je crois en toi mon herbe indocile.
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