Quid du bonheur ?
Malgré soi ?
Nous n’avons pas le droit de nous montrer résignés. Nous ne devons pas parler de malheur, quand cela se résume au mal de vivre, tandis que nombre d’âmes meurent sans l’avoir jamais présumé, que des corps souffrent, miséreux, malades, et se taisent pourtant. Nous ne devons en aucun cas nous lamenter, parce qu’il n’y a rien, selon certains, qui justifie un tel désespoir. Même si, selon nous, il n’existe rien non plus qui justifierait que nous fussions aveuglément radieux comme nous devrions l’être…
Vous pouvez le croire, vous ?
Sommes-nous donc par nature si hostiles à notre bien-être, si apprêtés au combat qu’il nous faille appréhender le bonheur comme un fourbe compagnon de route, un imposteur, voire un ennemi potentiel ? Nous nous préparons tellement à devoir réduire les fractures de l’existence que nous nous montrons confondus, jusqu’à l’ingratitude parfois, quand la bonté d’un jour se présente seule à nos yeux, dénuée d’artifices.
Pas plus que le malheur, le bonheur ne frappe avant d’entrer, les deux frappent néanmoins avec acuité une fois entrés, forçant à coup de pourquoi la porte de notre intimité. Tandis que nous flairons d’instinct l’un insidieux, nous ne concevons guère plus l’innocence de l’autre ; circonspects, nous doutons de cette fortune qui nous prend au dépourvu et redoutons aussi de devoir nous en guérir…
Toutes ces histoires heureuses que, préférant éteindre qu’étreindre, nous jetons dans de vulgaires poubelles, de peur qu’elles ne finissent mal, mais comment donc pourraient-elles finir autrement ? Au moins, pourrions-nous vaillamment leur laisser l’opportunité d’échouer ailleurs…
Nous aimons les mots de la mélancolie et avons l’attrait du vide à remplir, nous convoitons avec nostalgie un coin frileux inclinant à la perspective du brûlant souvenir, nous voulons la rage pour nous sentir vivre, les vibrations de l’exaspération pour nous voir espérer, les cris de désolation pour nous écouter parler, les larmes de désamour pour nous regarder pleurer…
En réalité, nous connaissons peu les propos du bonheur, cet état d’esprit méconnu, et l’impression de plénitude et de sérénité mêlées.
A ce carcan de la chance, celui dans lequel nous nous rongeons les sens pour nous en libérer, parce que nous craignons de mourir de quiétude, vous y croyez, vous ?
Le rêver ?
J’ai fait mien un rêve que je porte seule, laissant à l’autre le poids d’une souffrance dont je cherche à nier la lourdeur manifeste.
Je pensais, idéaliste, qu’aimer et l’être en retour s’avérait un bonheur en soi, une sensation légère qui amendait les conditions les plus critiques, mais certaines faiblesses humaines, inhérentes à l’état amoureux, viennent en fait confondre les illusions.
Même si ce rêve me poursuit, je ne peux désormais plus fermer les yeux… sur les maux d’un coeur qui me reconduit à l’orée du chemin.
S’y arrêter ?
Halte-toi en route ! Par là, je voudrais juste souligner la pertinence de ne pas goûter au bonheur fragile, dans l’urgence de vivre, mais de s’asseoir de temps à autre en bordure d’allée, où le déguster, l’apprécier un peu en retrait parfois, capturer la saveur épicée de ce présent fugitif donc précieux, s’imprégner du moindre fragment de ce salut évanescent, saisir à la seconde la beauté d’un panorama lumineux qui s’offre instantanément à tous les sens…
S’étendre sur le lit soudain moelleux de son existence et considérer celle-ci pour ce qu’elle a de plus vulnérable : le Bonheur, dont on peut à la fois être acteur et spectateur, afin d’en fixer les pourtours incertains et de le faire sien, aussi longtemps que toujours, dans la mémoire du cœur.
De la pudeur ?
Le bonheur n’est-il pas communicatif ? A moins de ne savoir autour de soi que de tristes envieux, jalousant dans l’adversité cet éclat chez autrui… N’en déplaise à ceux-ci, pourquoi alors ne pas se montrer généreux et lever toute pudeur à le communiquer ? En partage, surtout aux êtres aimés, aussi pour rassurer.
Il ne s’agit pas d’étaler une richesse devant ceux qui ne la vivent pas ; une fois admise cette réalité, fort de cette liesse, d’en dispenser plutôt le gain, y mettre du sien, et peut-être par là même, de réchauffer le cœur intelligent de ceux qui y croyaient peu.
Etre heureux, et s’avouer comme tel, ne revient pas à désavouer le malheur environnant… Il convient juste de se montrer honnête envers soi et de se dire satisfait, pour une fois.
Le bonheur des uns n’enlève certes rien aux malheurs de certains, il peut cependant contribuer à l’espoir des autres.
Le tout étant de réaliser, non seulement que l’on baigne dedans, mais plus est, de ne guère s’abandonner, pour se sentir exister, aux affres d’une obscure pensée.
Puis simplement, de trouver les mots…